Un rapport d'information sur la prévention de la santé en faveur de le jeunesse, signé des députés Cyrille Isaac-Sibille et Ericka Bareigts, préconise de refonder l'action publique sur trois grands principes : la promotion de la santé dès le plus jeune âge, une approche par déterminants (plutôt que par pathologies), le décloisonnement des acteurs de la santé publique. Il met en évidence les difficultés de la protection maternelle infantile (PMI) et de la médecine scolaire.

Cyrille Isaac-Sibille, député (Mouvement démocrate) du Rhône (et médecin), et Ericka Bareigts, députée (Socialistes et apparentés) de la Réunion, ont remis leur rapport d'information, fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, sur "la prévention santé en faveur de la jeunesse".

Des inégalités sociales et territoriales de santé considérables

Dans son avant-propos, le rapport donne quelques chiffres qui ne laissent pas de doute sur l'importance des enjeux : l'espérance de vie des 5% les plus aisés est supérieure de treize ans à celle des 5% les plus pauvres et le taux de mortalité évitable des hommes est deux fois plus élevé dans les Hauts-de-France et en Bretagne qu'en Île-de-France. Pour les auteurs, "la persistance d'inégalités sociales et territoriales très marquées signe l'échec de notre politique de santé publique. La santé constitue, aux côtés de l'éducation, l'une des deux grandes inégalités de destins des Français".
Sur le volet constat, le rapport souligne la multiplicité des acteurs, mais aussi "la gouvernance éparpillée" et les "financements dispersés", aussi bien au niveau national qu'au plan local. Il pointe aussi le manque d'évaluation des actions menées. 
Face à ce constat, déjà formulé à de nombreuses reprises, les deux rapporteurs préconisent de refonder l'action sur trois grands principes : la promotion de la santé dès le plus jeune âge, une approche par déterminants plutôt que par pathologies et le décloisonnement des acteurs de la santé publique.

"Clarifier la gouvernance"

En termes d'actions, les grands axes retenus sont au nombre de quatre, assortis chacun de plusieurs propositions. Le premier axe consiste à "structurer et clarifier la gouvernance de la politique de prévention, pour coordonner les interventions et pour assurer l'égalité entre les habitants des différents territoires". Ceci passe notamment par l'instauration d'un pilotage national confié à une "délégation interministérielle à la prévention" et par une structuration des acteurs locaux sur l'ensemble des bassins de vie, autour des CLS (contrats locaux de santé) et des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé).
De même, le rapport plaide - comme beaucoup d'autres avant lui - pour un rapprochement des professionnels de santé exerçant dans les secteurs sanitaire, socio-sanitaire et éducatif.

Des actions de prévention précoces et ciblées

Le second axe consiste à "déployer des actions précoces, différenciées, ciblées et à l'efficacité prouvée, selon un universalisme proportionné, et des interventions portant sur les déterminants environnementaux". Le rapport recommande donc de privilégier une prévention "différenciée", ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin. Il conviendrait aussi d'identifier et de diffuser "les initiatives locales qui fonctionnent bien", notamment en développant un portail national sur les interventions évaluées de prévention. 
Dans le même esprit, le rapport suggère de renforcer le suivi individuel de chaque famille et de chaque enfant par l'ensemble des professionnels de santé, et cela de la grossesse à 18 ans : définition de rendez-vous obligatoires, mise en place d'une consultation de prévention valorisée auprès des médecins et dentistes...
Enfin, il recommande d'agir sur divers déterminants environnementaux. Il s'agit tout d'abord de renforcer la régulation de l'accès aux produits addictifs et de l'exposition aux facteurs de risques : respect des interdits existants, encadrement des pratiques marketing des industriels du tabac et de l'alcool, ou encore interdiction de la publicité à destination des enfants pour les produits alimentaires de mauvaise qualité nutritionnelle. Il s'agit ensuite d'agir sur l'environnement général des populations, dans un cadre nécessairement interministériel : réduction de l'exposition à la pollution de l'air intérieur et extérieur ainsi qu'aux produits chimiques, amélioration de la qualité de l'offre alimentaire "par des pratiques contraignantes" et amélioration de l'accessibilité des produits de bonne qualité nutritionnelle, mais aussi création d'un contexte favorable à l'activité physique.

Evaluation et financement

Le troisième axe est plus classique, puisqu'il consiste à "améliorer les données de santé disponibles et développer l'évaluation des actions", et notamment le recueil des données de santé par la PMI et la médecine scolaire, "qui est aujourd'hui disparate, archaïque et non harmonisé selon les territoires".
Enfin, le quatrième axe consiste "à mieux financer et professionnaliser la prévention". Si le rapport préconise d'améliorer la connaissance des dépenses fléchées vers la prévention et d'"accroître les moyens alloués à la prévention, notamment la prévention primaire, pour investir dans l'avenir", il reste en revanche assez flou sur les volumes et les modalités des financements à mettre en œuvre.

La PMI confrontée à des "difficultés structurelles"

L'un des chapitres du rapport s'attarde plus particulièrement sur la PMI et la médecine scolaire, "deux acteurs centraux de la prévention auprès des jeunes, en prise à des difficultés structurelles". 
Malgré un rôle "largement reconnu" en matière de santé publique et un fort ancrage territorial (5.100 points fixes de consultation recensés en 2012), "les services de PMI font face à des difficultés structurelles, du fait de l'implication variable des assemblées départementales, du manque de moyens et de la pénurie de médecins". Le nombre de médecins de PMI est passé, entre 2009 et 2015, de 1.936 à 1.724 ETP, soit une baisse de 11% en six ans, "qui résulte largement du caractère peu attractif des statuts et salaires des médecins de PMI". 

Santé scolaire : des missions renforcées, mais des moyens diminués

Le constat semble plus préoccupant encore pour la santé scolaire, alors que la prévention occupe pourtant une place centrale dans ses missions, renforcées - en principe - par la loi de refondation de l'école de 2013 et rappelées par une circulaire du 10 novembre 2015. "Sédimentées au fil des années", ces missions butent en effet sur des effectifs "en chute libre" (-20% depuis 2008). En 2016, la France comptait ainsi 1.035 médecins scolaires pour 69.000 établissements (1.770 médecins avec les non titulaires). Il faut y ajouter 7.594 infirmières scolaires. Le rapport donne quelques exemples significatifs de cette déshérence de la santé scolaire, déjà soulignée par des rapports du Sénat, du Cese ou de l'Académie de médecine (voir nos articles ci-dessous du 23 mars 2018 et du 3 novembre 2017). Ainsi, Mayotte ne compte plus aucun médecin titulaire en santé scolaire, alors que l'île est le plus jeune département de France, avec 9.500 enfants nés en 2016. De son côté, la Seine-Saint-Denis dispose de 29 médecins pour 340.000 élèves, soit un médecin pour 11.720 élèves...
Conséquence : alors que la prévention devient une priorité, le taux de réalisation de la visite des six ans est en chute très rapide. Selon les données fournies par la DGESCO, 80% des élèves de six ans bénéficiaient d'un bilan de santé en 2013-2014, mais ce taux est passé à 47,5% en 2015-2016. De même, le taux d'enfants ayant bénéficié d'une visite varie très fortement selon les départements. Toujours selon la DGESCO, ce taux allait, en 2015-2016, de 13,3% dans l'académie de Montpellier à 93% dans l'académie de Clermont-Ferrand. Les résultats sont cependant un peu meilleurs dans les établissements de l'éducation prioritaire, avec un taux de 64,5%.

Jean-Noël Escudié sur Localtis