Dans une tribune au Monde, un collectif de médecins, d’élus et de représentants d’associations estime que le récent plan en faveur de la psychiatrie annoncé par la ministre de la santé ne prend pas suffisamment en compte l’ensemble des intervenants en santé mentale.

"La ministre des solidarités et de la santé a annoncé, vendredi 26 janvier, au congrès de l’Encéphale un grand plan de soutien à la psychiatrie. Enfin, est-on tenté de dire ! Enfin : depuis plusieurs années les signaux d’alarme se multipliaient. Epuisement des équipes, difficultés à répondre aux besoins des personnes malades, explosion de la contrainte, formation de déserts psychiatriques. Au côté d’autres institutions, de la prison à l’école en passant par la police ou l’accueil des personnes âgées, la psychiatrie souffre de ne plus savoir comment accomplir sa mission au profit de populations dont les problèmes semblent chaque jour un peu plus déborder ses cadres. Il était temps d’agir.

Perplexité et inquiétude
Enfin ? Passé le soupir de soulagement, la lecture du plan en douze points et de l’interview donnée par la ministre au Monde nous a cependant plongés dans la perplexité d’abord, dans l’inquiétude ensuite.
La perplexité, en premier lieu, concerne le fond : nous ne voyons pas dans les propositions de la ministre la réponse aux difficultés que nous diagnostiquons nous-mêmes, en tant qu’acteurs de la santé mentale, usagers, professionnels, chercheurs, responsables de service, à travers nos expériences de vie et nos travaux, dans nos services et nos territoires. Quelles solutions ce plan apportera-t-il aux difficultés d’accès aux soins et aux droits ? Comment permettra-t-il d’améliorer la coordination des acteurs, professionnels ou non, au service des parcours de soin et de vie des personnes concernées ? Quels accompagnements proposera-t-il aux handicaps encore nombreux et trop mal pris en compte qui affectent ces personnes face au logement, à l’insertion sociale et professionnelle, ou à la citoyenneté ? Et quelle stratégie met-il en place pour favoriser l’exercice par celles-ci de leur autonomie, dans la ligne des approches, largement documentées et acceptées aujourd’hui, en termes de rétablissement ?
Pour le dire autrement, la définition étroite de la psychiatrie sur laquelle repose ce plan nous paraît passer à côté des enjeux auxquels fait face actuellement notre système de santé mentale. Soyons clairs : nous ne remettons pas en cause la nécessité d’un effort national en faveur de la psychiatrie.

Cloisonnement
Au contraire nous sommes convaincus de la nécessité d’une psychiatrie forte au service de personnes dont les vulnérabilités et la précarité s’accroissent chaque jour et à cet égard nous partageons les inquiétudes qui ont déjà été émises sur les moyens réels qui seront mis à disposition de ce plan. Mais les difficultés de la psychiatrie elle-même ne pourront trouver de réponse si l’on n’inclut pas les autres composantes du système.
La grande transformation des troubles psychiques et plus largement des problèmes de santé mentale au cours des dernières décennies est qu’ils ne sont plus seulement des questions de santé au sens strict mais qu’ils affectent également le rapport des individus au logement, à l’entourage, au travail, ou encore à l’école, et qu’ils appellent donc des réponses spécifiques dans tous ces champs.
En retour, cette transformation a aussi amené à prendre conscience que si le soin psychiatrique participe au rétablissement des malades, il n’en est qu’une partie : c’est dans l’ensemble de la vie sociale que l’on trouve les ressources pour se soigner, et la qualité des soins psychiatriques dépend donc aussi de la mobilisation de ces différents autres acteurs.
Cette transformation s’est cependant opérée dans le cloisonnement des intervenants, et parfois des usagers eux-mêmes, en filières sanitaire, médico-sociale, sociale ou encore éducatives distinctes alors même que le caractère particulièrement multidimensionnel de leurs difficultés exigeait la coordination.

Plan sans concertation
Ce cloisonnement est aujourd’hui le grand défi auquel nous devons répondre et dont le plan ministériel ne paraît pas avoir pris la mesure. Alors que les évolutions législatives récentes, et notamment les projets territoriaux de santé mentale créés par la loi de 2016, ont été un début de réponse en ce sens, les annonces de la ministre nous paraissent en deçà des attentes que ces évolutions ont suscitées dans l’ensemble de la communauté de la santé mentale.
Ce dernier point rejoint nos inquiétudes sur la forme mise par la ministre à ses annonces : arguant de la nécessité d’agir et du grand nombre de rapports accumulés disant tous la même chose, elle a préparé son plan sans concertation, prenant de court la plupart des acteurs. Elle a simultanément pris l’initiative de supprimer le Conseil national de la santé mentale (CNSM), créé à l’automne 2016 par sa prédécesseure, en promettant de le remplacer par un comité stratégique de la psychiatrie et de la santé mentale chargé du suivi de son plan. Le CNSM avait pour objectif même de faire travailler ensemble les acteurs si divers de la santé mentale : psychiatres, responsables de structures sociales et médico-sociales, usagers et proches, professionnels de la santé, du social et du médico-social, chercheurs et élus.
Le futur comité stratégique doit poursuivre cette mission : être un espace de débats, de coconstruction avec les personnes directement concernées, de réflexion stratégique et de propositions pour les pouvoirs publics incluant l’ensemble des acteurs. Nous ne pouvons qu’espérer que la ministre saura prendre la mesure de ces enjeux et que les mesures annoncées ne seront qu’une première étape."

Les signataires : Véronique Antoine, vice-présidente de l’association Promesses ; Michèle Attar, directrice générale de Toit et joie, bailleur de logement social ; Marianne Auffret, élue du 14e arrondissement, vice-présidente de l’association Elus santé publique et territoire ; Mourad Azem, délégué du Conseil national des personnes accueillies/accompagnées et président de l’association Les cris des saltimbanques ; Jean-Yves Barreyre, président du conseil scientifique de Santé mentale France ; Elisabeth Belin, adjointe au maire de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ; Agnès Bensussan, coordinatrice de Conseil local de santé mentale, administratrice de l’association Fabrique territoires santé ; Fabienne Blain, porte-parole du collectif Schizophrénies ; Jacques Borgy, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues ; Raphaël Bouloudnine, psychiatre, trésorier de l’association Les cris des saltimbanques ; Jennifer Bunnens, présidente de l’association Schizo’jeun’S ; Magali Coldefy, géographe, chercheure à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé ; Patrick Cottin, président de l’Association nationale des maisons des adolescents ; Patrick Doutreligne, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux ; Bernard Durand, président d’honneur de Santé mentale France ; Alain Ehrenberg, sociologue, CNRS, ancien président du Conseil national de la santé mentale ; Laurent El Ghozi, élu de Nanterre, président de l’association Elus santé publique et territoire ; Claude Ethuin, président de l’association Nord-Mentalités, vice-président d’Advocacy France ; Nicolas Franck, professeur de psychiatrie au CHU de Lyon ; Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Philippe Guérard, président de l’association Advocacy-France ; Nicolas Henckes, sociologue, chercheur au CNRS ; Christophe Lançon, professeur de psychiatrie au CHU de Marseille, président de l’association Solidarité réhabilitation ; Denis Leguay, psychiatre, secrétaire général du Comité français pour la réhabilitation psychosociale, président de la Conférence régionale santé et autonomie des Pays de la Loire ; Céline Letailleur, paire chercheur au Centre de formation au rétablissement ; Jacques Marescaux, président de la Fédération santé mentale france ; Philippe Maugiron, président de l’Association francophone des médiateurs de santé pairs (AFMSP) ; Pierre Micheletti, responsable pédagogique du diplôme « santé-précarité » à la faculté de médecine de Grenoble, référent santé mentale de l’Uniopss ; Nicolas Pastour, psychiatre, centre hospitalier de plaisir ; Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs ; Nathalie Prunier, secrétaire générale de l’association Schizo Espoir ; Gilles Séraphin, professeur des universités, université Paris-Nanterre ; Aurélie Tinland, psychiatre au CHU de Marseille, présidente de l’association JUST ; Halima Zeroug-Vial, psychiatre, directrice de l’Observatoire santé mentale vulnérabilité et société Orspere-Samdarra.